Entretiens avec nos auteurs

Philippe de Kermorgan

Pour cet entretien, nous avons le privilège d’être reçus par l’auteur dans sa demeure familiale au cœur de la Bretagne.

– Bonjour Philippe, merci de me recevoir chez vous.

– Bonjour Vincent, tout le plaisir est pour moi.

– C’est toujours intéressant de voir où vivent les auteurs et dans quelles conditions ils écrivent. Où travaillez-vous vous-même ? Vous avez un bureau ?

– Oui, on y va justement.

Nous traversons un salon, puis un long couloir, et débouchons dans une salle plutôt encombrée. Une grande bibliothèque surchargée sépare l’entrée du reste de la pièce de forme carrée. Là, un grand bureau est installé près d’une fenêtre donnant sur le paysage. Tout autour, les murs sont garnis d’étagères où livres, objets de collection et antiquités se disputent la place. La pièce tient du mélange entre le cabinet de curiosité et le magasin de brocante. Un magasin très éclectique ! Nous nous installons dans un sofa.

– Il est assez étonnant votre bureau, mais ça ne m’étonne pas plus que ça quand on vous lit.

– En effet, cette pièce est une source d’inspiration pour moi. Pourtant, vous savez, la plupart de mes bouquins ont été écrit ailleurs ! Dehors sur la terrasse par exemple, mais surtout en train, durant mes déplacement professionnels.

– Vraiment ? J’ai du mal à vous croire. Vous avez dû mettre un temps fou pour rassembler tout ça ?

– C’est vrai, ça m’a pris du temps pour en arriver à ce résultat. Quelque part ça rejoint le travail d’écriture, où il faut tout créer ou recréer de A à Z.

– Alors précisément, comment travaillez-vous, déjà comment choisissez-vous les thèmes de vos romans ?

– Dans mon cas, ça part souvent d’une idée ancienne. Par exemple pour La Promesse Absolue, la trame générale de l’histoire, je l’avais déjà créée quand j’avais dans les 16 ou 17 ans. D’ailleurs regardez…

Philippe de Kermorgan ouvre un tiroir et en extirpe une sorte de portfolio plutôt usé. Il l’ouvre à une page qui fait penser à une planche de bande dessinée.

– Voilà la première représentation du Quasar, qui ressemble déjà beaucoup à ce qu’il est dans le livre.

– En effet, c’est étonnant, et c’est daté 1987.

– Et pour La Terre des Vents, c’est en écoutant l’album White Chalk de PJ Harvey, notamment le dernier titre, « The mountain » que l’idée du roman m’est venue presque immédiatement. La mélancolie de la mélodie, et surtout les paroles :

Every tree is broken

The first tree will not blossom

The second will not grow

The third is almost fallen

Ce ton, cette mélancolie m’ont marqué, et j’ai tout de suite visualisé les paysages rocailleux et désolés du roman.

– Diriez-vous que vous avez à chaque fois une source d’inspiration, un point de départ extérieur pour vos romans ?

– En quelque sorte, mais jamais de la même nature. Leur seul point commun, c’est d’arriver à l’improviste. Par exemple, pour L’Odyssée du Monument Historique que j’écris en ce moment, l’idée m’est venue alors que j’étais encore en train d’écrire la deuxième partie de La Promesse Absolue. J’avais plein d’idées, et je peux vous dire que ça a été difficile d’attendre de m’y mettre.

– Combien de temps consacrez-vous à l’écriture ?

– De nombreuses heures, souvent le matin, ou en fin d’après-midi. Comme vous le savez, romancier n’est pas mon activité principale.

– En effet, mais il me semble que vous désirez rester discret là-dessus ?

– Oui. Ça fait partie de ma, disons, philosophie d’auteur : je sépare ma vie personnelle de ma vie de romancier. Je ne voudrais pas que les deux se mélangent, sauf si bien sûr j’arrive à vivre exclusivement de ma plume un jour !

– Vos livres sont souvent très documentés, avec de nombreux détails sur les lieux traversés par les protagonistes…

– Ça fait partie des choses que je préfère dans mon travail d’écriture. J’aime savoir de quoi je parle et à quoi ressemblent les lieux où je situe mon action. Par exemple, pour La Promesse Absolue, j’ai fait d’énormes recherches sur l’université de Princeton, afin d’en restituer une image la plus réaliste possible. J’ai même contacté des étudiants français qui y étaient pour valider ce travail. Et c’est aussi vrai pour L’Odyssée du Monument Historique, qui contient bon nombre d’éléments historiques.

– Au niveau de la création de vos personnages, bon nombre de lecteurs ont exprimé leur profond attachement aux protagonistes de vos romans, comment faites-vous pour les rendre si attachants ?

– Ah, je ne sais pas trop… Quand je crée la « bible » du roman et que j’y décris le contexte, l’univers, les personnages, et tout le reste, je passe justement du temps à bien définir le caractère de mes personnages, dans le but d’écrire au final exactement ce qu’ils feraient dans les situations où j’ai prévu de les mettre.

– Tous vos personnages sont créés en amont de l’écriture ?

– Pas forcément. Par exemple, dans La Terre des Vents, le personnage de Vikna Halder n’existait pas dans la trame d’origine. Initialement, Deux-Lunes, le personnage principal devait être capturé par un soumis sans identité propre. Et puis, une fois la scène écrite, notamment avec le détail où le soumis fait boire Deux-Lunes qui n’a que 13 ans pour lui tirer les vers du nez, je me suis demandé ce que donnerait la scène si c’était une femme qui tenait le rôle. J’ai donc complètement réécrit la scène et au final Vikna Halder est née, devenant l’un des personnages les plus importants du roman et aussi remodelant totalement un grand nombre de scènes ultérieures au passage !

– C’est étonnant. Quand on vous lit, on est devant des univers tellement détaillés, tellement complexes qu’on a du mal à vous imaginer improviser quelque chose.

– Pourtant c’est très fréquent ! Par exemple, La Terre des Vents a eu en tout 4 fins différentes !

– Vraiment ?

– Oui ! En fait j’ai fait 3 tentatives pour écrire cette histoire, qui est plutôt exigeante. Après mes deux premiers essais, qui ne m’avaient pas convaincus, il se trouve que j’ai égaré la bible du roman !

– Ah carrément ?

– Oui ! Je suis un peu tête en l’air et j’ai paumé la clé USB où se trouvait le fichier ! Et puis, quelques années plus tard, je suis retombé dessus par hasard. J’ai tout redécouvert parce que je dois bien le reconnaître, à part les noms des personnages principaux, j’avais tout oublié ! J’ai pour le coup bien aimé ce que j’ai lu et ça m’a franchement motivé à réessayer une troisième fois à écrire le roman, tout en revisitant le plan initial en l’enrichissant de nouvelles idées.

– Tout ça aura pris combien de temps, au final ?

– Pas loin de 10 ans !

– C’est de loin votre plus gros roman, et il a été écrit avant La Promesse Absolue ?

– Oui mais c’est aussi pour ça que c’est plus compliqué de le sortir en livre : J’ai prévu depuis le début qu’il serait illustré, avec une illustration pour chacun de ses 22 chapitres, plus des cartes, des plans, des choses comme ça. J’ai approché plusieurs illustrateurs pour ce travail, mais voyez-vous, j’en choisissais de trop bons !

– Comment ça ?

– Ils décrochaient de meilleurs jobs à plein temps et devaient se retirer de ce projet ! C’est arrivé 3 fois de suite !

– Ah, manque de chance en effet. Mais comment comptez-vous faire à présent ?

– J’ai une nouvelle idée en tête. On verra ce que ça donnera, mais j’ai bien l’intention de sortir La Terre des Vents au plus tôt maintenant.

– Je suis sûr que vos lecteurs de La Promesse Absolue l’attendent avec impatience.

– Je suis impatient aussi !

– En tout cas, merci de m’avoir reçu pour cet entretien.

– Tout le plaisir était pour moi.

Transcription de l’interview : Barbara C.

Duncan Pier

Duncan m’a donné rendez-vous dans un café brocante qu’il visite régulièrement. L’endroit est pittoresque et fréquenté par une clientèle universitaire.

– Bonjour Duncan, ravi de te revoir.

– Salut Vincent, très content également. Tu as trouvé facilement ?

– Oui mais pour me garer c’était autre chose. Tu viens souvent ici ?

– Oh, une fois par mois en général pour voir s’il y a des nouveautés à vendre. J’aime bien l’atmosphère années 50 de ce lieu. En plus tu vois là haut ?

Duncan me montre des moulures de stuc en forme de lions en haut des murs.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Avant la Première Guerre Mondiale, c’était un magasin de voitures de la marque Peugeot. Plus tard, ils ont fait disparaître les moulures Art Nouveau démodées derrière des lambris. En rénovant le magasin, les actuels propriétaires ont redécouvert cette décoration et l’ont mise en valeur.

– Intéressant. Je vois que l’histoire t’intéresse autant dans ta vie quotidienne que dans ton travail ?

– Oui on peut dire ça.

– C’est pour ça que ton premier roman est un polar historique ?

– C’est un peu plus compliqué. En fait j’ai participé il y a longtemps à un concours de nouvelle pour la chaîne Arte, dont le thème était “la femme et le fantastique”. J’avais imaginé une histoire où une jeune femme travaillant dans un musée découvrait que le propriétaire d’un tableau qu’elle exposait parlait au tableau quand personne ne le regardait. Et puis il meurt, lui laissant le tableau et c’est là qu’on comprend que c’est le fantôme de la jeune femme du tableau qui parlait à cet homme… Et que maintenant c’est à elle que ce fantôme s’adresse.

– Pas mal.

– Non, car il y a un hic : Quand j’ai parlé de cette nouvelle autour de moi, quelqu’un m’a dit qu’une intrigue où un tableau est la clé pour résoudre un meurtre, c’était déjà le cœur d’un roman d’Arturo Perez Reverte !

– Mais oui : “Le tableau du maître flamand !”

– Exact. J’ai dû annuler ma participation, mais j’ai décidé de retravailler l’histoire en écrivant un vrai roman cette fois. C’est devenu La villa du mauvais temps.

– L’intrigue est incroyablement réaliste, et les lieux traversés par les personnages principaux, notamment à Charonne et Belleville (quartiers de Paris), sont étonnamment détaillés !

– Parce que j’y suis parti en repérage durant l’écriture. J’ai aussi rencontré des spécialistes de la Révolution Française, et des documentalistes au Musée Carnavalet qui m’ont été d’une grande aide…

– Parce qu’une partie de l’intrigue se passe durant la Révolution ?

– En effet. J’ai même approché le milieu royaliste parisien, notamment durant une “soirée privée” de commémoration de la mort de Louis XVI le 21 janvier de cette année là. Un moment très spécial…

– Ce n’est pas tout ? Tu m’avais parlé d’une série de coïncidences ?

– Oui : J’avais écrit une intrigue fictive et suis allé à Paris pour habiller mon récit, et en me documentant je suis tombé sur une intrigue réelle, cette fois, avec de vraies personnes, de vraies société secrètes, et même d’autres coïncidences encore plus étonnantes. J’ai justement écrit une postface pour la nouvelle édition qui doit sortir en juillet, qui raconte tout ça, avec de la documentation d’époque.

– On sent bien la passion qui t’anime. Et pour Le reflet, ton nouveau roman ?

– Oh alors ça, c’est tout à fait autre chose !

– Raconte ?

– Figures-toi que c’est parti d’un rêve que j’ai fait. Tout simplement. Un rêve qui détaillait tout le point de départ de l’intrigue, du talent “spécial” d’Antoine, de comment il l’utilisait comme cambrioleur professionnel et aussi comment il se “prenait les pieds dans le tapis”, durant un coup, l’entraînant dans une série de catastrophes.

– C’est assez incroyable !

– C’est pourtant vrai ! J’ai l’habitude de noter mes rêves au matin, et je peux te dire que celui-là je me suis empressé de l’écrire ! Après, j’ai rajouté beaucoup de choses à l’intrigue principale.

– Ah oui, comme le village fantôme en bout d’aéroport, entièrement habités par des sourds parce qu’ils sont les seuls à pouvoir supporter le bruit des avions qui passent ?

– Ouais, c’est tirés d’éléments réels, mais le nom du village est fictif pour protéger le vrai.

– Ou encore le mentor d’Antoine, avec son énorme musée bric-à-brac ?

– Oui ça aussi ce n’était pas dans mon rêve ! Mais cet endroit existe aussi bel et bien et peut se visiter.

– En fait tu aimes mélanger la fiction et le réel ?

– Disons que mon intrigue est fictive mais que tout le reste est réel ! C’est ce qui lui donne tout son poids, toute son efficacité. Dans cet esprit je me demande si je ne vais pas reprendre le chapitre qui se passe à Las Vegas.

– Pourquoi ?

– Parce que la décoration de l’hôtel Mirage où se passe l’action a changé depuis ! Elle ne ressemble plus à ce que j’ai décris à cette époque là.

– Ce sens du détail…

– Frise l’obsession, oui je sais !

– Hé bien merci, Duncan, pour ces quelques mots qui, j’en suis sûr, donneront envie à nos lecteurs de découvrir ton travail.

– Je l’espère !

Merci à notre stagiaire Johanna pour la transcription